Delphine Le Nozach, Université de Lorraine
En juin 2017, les célèbres robots aliens marquent leur retour avec Transformers : The Last Knight, cinquième opus de la saga filmique. Sur le site Allociné, le pitch promet que le film « fait voler en éclats les mythes essentiels de la franchise Transformers » tandis que sur le site officiel, le résumé précise : « Optimus Prime, Bumblebee et leur équipe d’Autobots sont de retour pour le nouveau chapitre de l’univers cinématographique des Transformers ». Ces deux courtes présentations sont symptomatiques : Transformers est une marque commerciale qui se déploie dans des contenus transmédiatiques à l’instar de sa saga sur grand écran. Très marketés, ces films d’action sont médiatiquement connus pour regorger de placements de produits. Mais, au-delà de ces aspects rebattus, la sortie du nouveau film de la saga est l’occasion de révéler les liens spécifiques de Transformers avec le placement de produits filmiques.
Une profusion de produits et de marques
Chaque année, le site Brand Channel établit un palmarès des placements de produits au cinéma. En 2014, Transformers : l’âge de l’extinction (4e film de la saga) remporte le premier prix de la catégorie « film avec le plus de placements de produits ». Pas moins de cinquante-cinq marques ont été relevées dans l’image, parmi lesquelles Armani, Cadillac, Chevrolet, Coca-Cola, Goodyear, Gucci, Lenovo, Nike, Red Bull, etc. Trois ans plus tôt, Transformers : la face cachée de la lune (3e film de la saga) avait déjà remporté cette compétition. Notons également qu’il présentait 71 marques différentes.
Largement pointés du doigt pour leur accumulation de marques, les films Transformers essuient également des critiques en raison des nombreux placements de produits, amenés de façon grossière. Ainsi la marque Beats Pill, par une apparition saugrenue et appuyée dans Transformers 4, accède-t-elle au rang de pire placement de produit (2014 par le site Brand Channel). Dans ce même épisode, nous relevons également le placement de la bière Budweiser Light : un camion de livraison de la marque explose au contact d’un Transformers déroulant un imposant tapis de Bud light ; Cale Yeager (joué par Mark Wahlberg) décapsule sauvagement une bouteille et boit une grosse gorgée de bière. Le manque de subtilité de cette scène trahit l’aspect commercial de ce placement de produit.
A contrario, certains produits s’intègrent avec cohérence dans la narration filmique. Quoi de plus vraisemblable qu’un adolescent vende des affaires sur la plateforme eBay (Transformers 1) ou porte des baskets Adidas (Transfomers 2) ?
Une marque omniprésente
Au-delà de tous ces placements de produits, qu’ils fassent de la figuration ou qu’ils endossent une fonction diégétique (c’est-à-dire intégrée à la narration), quelle marque est finalement la plus remarquable tout en étant la moins remarquée ? Celle qui semble ignorée des réprobations, qui cumule temps d’exposition record, qui occupe une place centrale dans l’image et qui donne son nom au titre des films. Effectivement, la marque Hasbro domine largement cette saga cinématographique et, fait rarement évoqué par les médias, les films mettent avant tout en scène les célèbres jouets Transformers du géant américain.
Déjà transposés en 1984 à la télévision dans la série animée du même nom, les Transformers sont des figurines robots extraterrestres qui se transforment en objets ou en véhicules. Ils sont déclinés en deux gammes ennemies, les bienveillants Autobots et les cruels Decepticons. Les adaptations cinématographiques s’appuient sur ces personnages et construisent un monde codé expliqué dans le film de 2007. Depuis des temps immémoriaux, une guerre pour la maîtrise de l’univers oppose les Autobots aux Decepticons. Le premier opus établit que ce conflit atteint la Terre et implique désormais les humains. Le postulat de départ est clair : les Transformers ont toujours existé mais leur présence était, jusqu’à présent, tenue secrète. Dans les suites, les Transformers vont s’allier aux humains (2e film), protéger la Terre (3e film) puis finalement être chassés de la planète (4e film). Le dernier film en date annonce une guerre impitoyable entre les robots aliens et les hommes.
Ces différents épisodes de l’histoire sont une représentation filmique des scénarios inventés par les enfants avec leurs jouets Transformers. Les figurines Hasbro sont ainsi à la fois le sujet du récit et les personnages principaux des films. Ce placement narratif peut être qualifié de substantiel dans la mesure où il conditionne l’existence même de l’histoire qui nous est racontée.
Un placement de produit sans précédent
Si Hasbro domine les films avec son produit Transformers, la mise en scène filmique des jouets dans un environnement réaliste ouvre la voie à un placement de produit inédit. Selon la particularité des jouets d’origine, lorsque les robots extraterrestres se réincarnent, ils prennent la forme d’objets usuels, pour la plupart de véhicules. Le réalisateur choisit d’intégrer les Transformers dans notre quotidien contemporain et, de ce fait, leur mutation implique que le placement du produit Hasbro se substitue à un placement de produit d’une autre marque. Deux marques sont ainsi associées sous les traits d’un même personnage. Le logo Transformers disparaît au profit de celui de la marque qui lui est subordonnée alors que, sur les jouets ou dans la série d’animation, il est le seul présent. Néanmoins, Hasbro impose sa suprématie présentielle puisque les robots aliens se camouflent sous une autre apparence uniquement pour passer inaperçus sur Terre.
Ainsi l’éclaireur Autobots Bumblebee, ange gardien de Sam, devient une Chevrolet Camaro jaune et noire. Pareillement, Optimus Prime, leader des Autobots, se transforme en camion Peterbilt bleu et rouge puis, dans le 5e film, en camion de la marque Western Star. Du côté des Decepticons, le principe est inchangé. Barricade, guerrier Decepticon survivant de la Bataille de Chicago et ennemi juré de Bumblebee, se change en voiture de police Ford Mustang.
Au-delà des accords commerciaux, le choix de la deuxième marque placée pour les personnages Transformers répond d’une fonction à la fois qualifiante et esthétique. Les valeurs de la marque et le design du produit sont pensés pour être en adéquation avec la personnalité des robots aliens. À titre d’exemple, les Autobots sont des Transformers aux couleurs vives qui prennent essentiellement les traits de voitures de sport alors que les Decepticons arborent des couleurs sombres et se révèlent en avion de chasse, char de l’armée, hélicoptère ou encore scorpion géant. Ces éléments distinctifs ont une importance cinématographique car une fois redevenu robot extraterrestre, ils permettent une identification facilitée pour le spectateur.
Par conséquent, depuis dix ans, la saga cinématographique Transformers révèle une forme originale de placement de produits filmiques : un placement de produits double qui conjugue deux marques. Si avec Transfomers : The Last Knight Michael Bay réalise son dernier Transformers, la franchise a encore de beaux jours devant elle. De nombreuses suites sont d’ores et déjà en développement et un spin off sur Bumblebee est actuellement en préparation. Associée à ce personnage attachant, Chevrolet s’assure une place de choix sur nos écrans. Bien joué !
Delphine Le Nozach, Maître de conférences en Sciences de l’information et de la communication, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.