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Tous des fainéants. Même au cinéma ?

Pourquoi la tendance nostalgique est le signe que le cinéma ne prend plus de risque.

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Ça, le film d’Andy Muschietti, cartonne au cinéma, pourtant Ça n’en vaut pas la peine. Comme ces millions de spectateurs, je suis allée voir Ça, mue par la nostalgie d’un téléfilm qui m’avait profondément remuée dans les années 90. J’espérais y retrouver la délicieuse sensation d’horreur gluante et glauque ressentie alors. J’espérais qu’elle soit magnifiée par une esthétique cinématographique propre à notre époque  – qui dispose désormais de moyens techniques élaborés pour nous plonger dans l’angoisse et l’écœurement. De l’écœurement (et de l’ennui) j’en ai ressenti face à la prééminence d’une reproduction de l’Amérique des 80’s, aux couleurs trop vibrantes. Tout autre aspect de l’œuvre originale a été soigneusement négligé.

Il ne vous aura pas échappé que l’époque est à la répétition. Dans la rue, une déferlante de Brandon et Brenda de Beverly Hills déambulent en Mom Jeans et Stan Smith. Nos enfants dansent sur Voyage, Voyage et Duran, Duran. Objets et héros iconiques d’un passé récent sont célébrés sur le petit et le grand écran, avec cette appellation magique de « vintage ».  La nostalgie des 80’s et 90’s a envahi la culture populaire.

 

 

En quoi cette vague rétro, charmante et confortable au premier abord, peut-elle devenir perverse ?

La nostalgie se nourrit d’un sentiment commun provoquant deux états : un regret mélancolique d’une chose, d’une existence que l’on a eue, que l’on a connue, ou pas. Dans le premier cas, la nostalgie manifeste le désir d’un retour dans le passé, le fameux et insupportable « c’était mieux avant », si cher à tous les conservateurs. Dans le deuxième cas, il y a un désir qui ne pouvant être satisfait entraîne un sentiment d’impuissance. Dans les deux cas, c’est l’immobilisme !
Le cinéma, art du temps et de l’espace, peut puiser dans la nostalgie une résistance à la perte, à l’oubli. Il peut maintenir des souvenirs et produire des œuvres originales. Mais récupérée par le marketing, la nostalgie devient un alibi pour ne plus rien inventer, pour recycler et répéter jusqu’à la saturation. Au risque d’une régression de la créativité.

 

Pourquoi la nostalgie c’est cool. Apparemment.

Une étude américaine de 2012 portant sur la nostalgie a montré qu’elle offrait un confort physique sous forme de chaleur.  Elle permet une régulation émotionnelle, grâce à l’activation de souvenirs positifs instaurant une humeur anti-tristesse. Par un simple processus de remémoration, elle assure bien-être et protection contre les pensées négatives. La nostalgie, c’est donc l’antidépresseur de l’époque.
En érigeant un pont entre le passé et le présent, la nostalgie produit un sentiment de continuité de l’être en réduisant la perception du temps qui passe, tout en nous ramenant vers des souvenirs agréables. C’est comme le tunnel spatiotemporel de Marty McFly, mais sur le plan neurologique.

Je vous donne un exemple d’une production artistique, visuellement intéressante, et qui s’appuie sur une reconstruction nostalgique.

© Conor Nickerson – Childhood

Cette série de photos suscite de l’émotion, parce que la mise en scène de la nostalgie crée quelque chose de nouveau.  Au lieu de considérer avec mélancolie son enfance, Conor Nickerson s’immisce dans la photo d’origine, habillé d’une façon quasi identique. Il rend sensible, d’une façon réjouissante,  le passage du temps qui construit, de l’enfance à l’âge adulte. Cédric Klapish dans Ce qui nous lie utilise ce même tunnel spatiotemporel pour évoquer l’évolution du personnage de Jean, incarné par Pio Marmaï. Dans la scène finale de son film, Jean adulte, se retrouve face à lui-même enfant. Il peut enfin réconcilier les deux facettes de sa personnalité, les rassembler pour vivre pleinement sa vie. A l’image, l’enfant et l’adulte se retrouvent dans un même plan et s’enlacent. Dans ces deux cas, la nostalgie permet d’envisager l’avenir, en s’appuyant positivement sur le passé.

La série Stranger Things, dont je vous parlais dans un précédent article, Les cow-boys sont tous morts, opère d’une façon identique. Mais une variation de point de vue intervient, selon le spectateur qui la regarde. Pour ceux de ma génération, parce qu’elle s’inspire d’œuvres cinématographiques connues et utilise des codes aisément identifiables, la série véhicule une nostalgie réelle. Pour nos enfants, auxquels nous avons montré les films qui ont marqué notre propre enfance, elle propose une nostalgie simulée, celle d’une époque vécue par une expérience indirecte (celle des parents). Enfin, de façon plus générale, comme l’ont souligné Baker et Kennedy dans leur communication de 1994, Death By Nostalgia,  Stranger Things est le reflet d’une nostalgie collective, symbole d’une culture et d’une génération, celle des années 80. Mais à partir de ces éléments fortement identifiés de l’histoire et de la culture américaine contemporaines, la série a le mérite de proposer de l’inédit. Elle s’amuse avec le spectateur et ses connaissances cinématographiques. Elle le fait participer à un récit, qui contient des traces d’autres récits contemporains, auxquelles lui seul peut donner sens.

Recourir à la nostalgie pose un problème lorsque, au lieu d’articuler ce sentiment à une perte qu’on se réapproprie positivement, la « re-consommation régressive » emprisonne le spectateur.

 

Pourquoi la nostalgie, c’est easy, en fait

A ce stade, et avec cette expression barbare de Mark Joseph Stern, je te rends hommage, ô lecteur assidu, qui es toujours là.

La « re-consommation régressive », c’est comme une machine à remonter le temps. En faisant resurgir des souvenirs agréables, la vague nostalgique stimule nos neurones, qui libèrent un flot de dopamine. Car ce que nous avons vécu, entendu, vu, pendant nos années formatrices, s’incruste dans notre cerveau à un niveau émotionnel. Dès qu’un film, une série joue sur les éléments familiers qui ont marqué une génération, nous utilisons moins d’énergie mentale pour traiter ces informations connues. Et dès qu’une chose est facile à appréhender, nous la considérons inconsciemment comme bonne.

Nous avons donc des spectateurs involontairement paresseux (laissons-nous le bénéfice du doute), qui sont, en plus, plongés dans une époque de crise globale.  Lorsqu’une époque paraît menaçante, elle incite à se réfugier dans un imaginaire familier pour éviter toute confrontation avec une réalité pleine d’aspérités. Paresseux donc, les spectateurs ont, aussi, besoin d’être rassurés.

Face à ce public frileux, l’industrie du cinéma cherche des recettes pour faire recette. Et là, bingo, jackpot ! Pour faire de l’argent facile, il n’y a qu’à se servir dans tout ce que le cinéma et la télévision ont pu produire dans les années 80-90. Un film a désormais plus de chance de voir le jour s’il se rattache à quelque chose de déjà connu. Beaucoup moins s’il sort de l’imagination d’un scénariste ou d’un réalisateur, ou de ces deux cerveaux associés.

 

 

Il en est ainsi des remakes : Ça, SOS Fantômes, Tron, Dirty Dancing. Mais aussi des adaptations cinématographiques de séries que l’on décline jusqu’à l’overdose : Mission Impossible, Charlie’s angels, Star Trek.

Les adaptations de comics peuvent être inclues dans la même catégorie. Doppés par le succès, dans les années 80, des premiers opus mettant en scène des super héros,  les studios n’ont de cesse de recycler ces personnages. Le premier Superman, sorti en 1978, a marqué son époque. Il est suivi de 4 autres films en 1980, 83 et 87. C’est déjà pas mal ! Le Batman imaginé par Tim Burton arrive, quant à lui, sur les écrans en 1989.  Après Tim Burton, la légende de Batman sera revisitée par deux autres réalisateurs, Joël Schumacher et Christopher Nolan pour accoucher de 7 films brodant autour de la même histoire ! Superman aura droit à son retour en 2003, puis son remake en 2016 – Man of Steel réalisé par Zack Snyder. Et comme le filon de l’histoire originelle des deux héros est quelque peu asséché, les studios ont l’idée d’un crossover réunissant les deux types en cape sous la direction de Zack Snyder. On frôle l’indigestion !

 

La propension à refaire ce qui a été très bien fait, dans ces décennies prolixes, s’explique certainement parce que la génération, qui est désormais adulte, consacre une grande partie de son pouvoir d’achat au divertissement. Elle a des enfants (donc de nouveaux consommateurs) avec lesquels elle partage volontiers ses souvenirs de jeunesse. Il n’y a rien de plus plaisant que de montrer à ses propres enfants un film qu’on a adoré pendant son adolescence, pour leur donner un aperçu de ce qu’on a pu vivre. J’ai fait l’expérience avec La Boum (1 et 2), je suis devenue instantanément la mère la plus cool du monde. A la sortie du remake ou d’une suite d’un film qui nous a marqué, nous en devenons les premiers représentants commerciaux, les prescripteurs, grâce aux anecdotes et aux souvenirs que nous pouvons partager. Il suffit de regarder comment les réseaux sociaux ont été envahis par des Pennywise, des ballons rouges et des #weallfloatdownhere, au moment de la sortie de Ça. Les films ayant une durée d’exposition limitée, les premières semaines d’exploitation sont cruciales. Lorsqu’on peut s’appuyer sur des souvenirs d’une génération, cultivés avec nostalgie, on assure une viralité à la publicité d’une œuvre. A moindre d’effort.

La France n’échappe pas au phénomène, sans que le succès commercial soit, pour autant, assuré . Elle adapte toutes les bandes dessinées possibles, avec plus ou moins de bonheur, et décline des franchises bien installées auprès du public. Le dernier exemple en date est le Boule et Bill 2 ! Les producteurs vont également puiser dans les succès d’une époque plus ancienne, pour réaliser des remakes attendus (Angélique, ou plus récemment Knock, actualisé par la seule présence d’Omar Sy).  « Le remake présente un gros avantage, explique Muriel Sauzay, la directrice des ventes internationales de Pathé. Le concept a déjà démontré son potentiel en salles et il n’y a plus de questions à se poser sur la pertinence de l’intrigue. Le script est d’autant plus rapide à écrire, et le travail d’adaptation facilité. »

L’exploitation marketing de la veine nostalgique, associée à des nouvelles technologies de tournage, assurant de faire plus impressionnant que la première version, sont des  garanties d’un gros succès d’exploitation. Or bien souvent, on remplace une vision esthétique d’auteur par un déferlement d’effets spéciaux. On substitue le spectaculaire au récit initial. Le public ne s’interroge plus sur ce qui lui est raconté – à quoi bon, puisqu’il connaît déjà l’histoire.  Ni même comment cela est raconté – ce n’est pas le propos de ces films.

Les studios parviennent aussi à transformer en block-buster des sequels de films, qui n’avaient pas marché en salle. Le cas de Blade Runner est édifiant. Lors de sa sortie  aux Etats-Unis en 1982, ce film fut un échec commercial. Il est devenu progressivement culte, grâce à la diffusion d’une version director’s cut, plus ambivalente sur la nature du personnage principal. Mais, ce n’est qu’en 2007 qu’il entre dans le classement des 100 meilleurs films américains établi par l’American Film Institute. On peut se réjouir que la suite, Blade Runner 2049, réalisée par Denis Villeneuve, soit mieux exposée que l’oeuvre de Ridley Scott. Mais cet excellent film méritait-il réellement une suite ?

 

 

Avec ce triomphe d’un imaginaire redondant, bloqué sur des archétypes et des récits éventés, mis en scène au premier degré, on ne peut que déplorer le phagocytage de tous les autres. Car ces films n’insistent pas sur l’importance du passé dans la construction du présent, comme le fait un Klapish. Ils n’apportent pas de nouvelles expériences, auxquelles le spectateur puisse s’identifier pour mieux appréhender un monde complexe.  Ils  ne jouent pas ce rôle essentiel de l’art  : permettre  la découverte et la connaissance du monde. La seule dimension artistique de ces films est de résister à la perte, par la « re-consommation régressive » offerte à un spectateur, plus en quête de divertissement que de réflexion.

Alors qui donc est le plus fainéant : le cinéma ou le spectateur ?

En tout cas pas toi, cher lecteur, qui a courageusement lu tout cet article. Dans un ultime effort, n’hésite donc pas à partager ton point de vue dans les commentaires.

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Comments 1

  1. C’est intéressant ce que cet article raconte mais les raisons d’un tel phénomène de nostalgie sont avant tout purement mercantiles. Les années 80 représentent l’avènement du blockbuster cinématographique dans tout ce que cela représente : genre, écritures, caractérisation des personnages, thèmes…. Le cinéma était alors rentré dans une phase de merchandisation excessive représentée par les réalisateurs stars qui sont aujourd’hui devenu de véritables marques déposées. 30 ans plus tard, les nouveaux nabab/banquier du cinéma qui détiennent la majeur partie des studios veulent continuer d’amasser du fric dans la mouvance de l’ère ET/Star wars/superman/ferris bueller de l’âge d’or en orientant la line up sur les même spectateurs qu’il y a 30 ans. Pourquoi ? Parce que ces même spectateurs sont aujourd’hui parents / propriétaire / nouveaux réacs…. mais également pour la plupart, devenu complétement acculturé par manque de temps que leur prend les soirées mojitos et leur boulots qui les accaparent jusqu’à 20h. Acculturé donc évacuant toute possibilité d’un imaginaire en perpétuel demande d’évolution. La machine étant grippée, le souvenir d’un imaginaire connu rassure et maintient l’individu dans l’illusion d’un passé fantasmé… Dans lequel il entraîne ses 2, 3 ou 4 enfants avec lui. Bref je fais des raccourcis facile mais cela rejoint une remarque d’un réalisateur de la maison Disney qui racontait hors micro que l’économie des dessins animés Disney se basait sur la fabrication d’outil voire de nounous de substitution utile pour avoir la paix quand les parents reçoivent des amis. Rien d’artistique. suffisamment original pour capter l’attention des chiourmes quand les parents veulent la paix.

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