David Abonneau, Université Paris Dauphine – PSL
Le candidat Macron a fait de la politique de l’emploi le pivot du projet qui l’a porté à la Présidence de la République comme en témoigne son intention – réaffirmée par son premier ministre – de réformer le droit du travail par ordonnances dès les premiers moments de son quinquennat.
Il est permis de supposer que cette réforme, moins qu’une rupture, s’inscrira dans la continuité des mesures mises en place durant la présidence de François Hollande en particulier la loi Travail dont Emmanuel Macron est le géniteur mais également l’Accord national interprofessionnel de 2013.
Ces mesures partagent en effet une philosophie commune parfois désignée sous l’expression de « flexisécurité à la française ». À n’en pas douter la réforme à venir sera associée à une réflexion de fond sur le modèle français de la formation professionnelle continue.
Les hypothèses en matière de politique de l’emploi ?
Sur le volet « flexibilité », l’ambition est de faciliter les licenciements pour encourager les embauches conformément au premier pilier du « triangle d’or » de la flexisécurité. La loi Travail de 2016 s’inscrivait déjà dans cette logique. Le plafonnement des indemnités prud’homales (prévus par la loi Travail dans sa première version) et la formulation d’éléments objectifs pour attester de la « difficulté économique » de l’entreprise répondent, parmi d’autres mesures, à la volonté de réduire les incertitudes liées au licenciement d’un salarié.
Le corollaire de cette flexibilisation de la relation d’emploi sera de renforcer l’accompagnement des allers et retours entre le marché de l’emploi et le chômage, autrement dit de faciliter les transitions professionnelles en s’appuyant sur la formation professionnelle. Sur ce volet « sécurité » qui fait écho au second pilier du « triangle d’or », Emmanuel Macron a, durant sa campagne, largement souligné sa volonté de s’appuyer sur le Compte personnel de formation (CPF) entré en vigueur en 2015.
Autre élément, le candidat Macron a mis l’accent sur la promotion de l’auto-emploi. Les propositions du doublement des seuils de chiffres d’affaires des autoentrepreneurs, leur passage au régime général de la sécurité sociale ou encore la création d’un régime de retraite universel témoignent de cette orientation visant à rapprocher le travail indépendant du salariat.
Les enjeux pour la formation professionnelle continue
Ces hypothèses ne sont pas neutres pour la formation professionnelle continue qui devra répondre à quatre injonctions :
La formation au service des travailleurs indépendants !
Il s’agira de professionnaliser, de développer les compétences, d’accompagner les carrières des travailleurs indépendants. Aujourd’hui, la question du rôle de la formation auprès des personnes en auto-emploi n’est pas réellement traitée parce qu’elle sort du cadre institutionnel prévu en 1971, celui de la formation des salariés.
La formation au service de la politique de l’emploi !
Il s’agira de fabriquer de l’emploi « de masse », principalement à faible qualification, dans des secteurs souffrant de pénurie de compétences. En dépit d’efforts importants allant dans ce sens ces cinq dernières années, la politique de formation reste, en France contrairement à l’Allemagne, relativement déconnectée de la politique de l’emploi.
La formation au service des demandeurs d’emploi !
La flexibilisation des embauches et des licenciements impliquera d’accompagner davantage les transitions professionnelles des travailleurs aux trajectoires les plus éclatées (en particulier les plus jeunes, les moins qualifiés et les séniors). Pour répondre à cet enjeu de premier plan, il sera nécessaire de perfectionner l’accompagnement et l’orientation individualisés des bénéficiaires du CPF mais également des contrats de sécurisation professionnelle (CSP) financés pour partie sur les fonds de la formation professionnelle.
La formation au service des entreprises !
Pour pérenniser la mission historique de la formation professionnelle continue – à savoir former les salariés – la formation devra devenir un outil de performance pour les entreprises y compris les TPE et les PME qui ont beaucoup souffert de la crise ces cinq dernières années. Il faudra donc intensifier les efforts pour rapprocher l’offre et les modalités de formation des besoins des employeurs.
Répondre à ces quatre défis implique d’identifier à la fois les dispositifs, les financements mais également, plus important nous semble-t-il, les acteurs institutionnels en capacité d’apporter des réponses concrètes, en lien avec les besoins des salariés, des demandeurs d’emploi, des travailleurs indépendants, des employeurs et des branches professionnelles.
Le modèle français de la formation professionnelle face à la politique de l’emploi à venir
Le modèle français de la formation continue, issu de la loi de 1971, est mal connu du grand public. Il est vrai qu’il est complexe et qu’il a connu des évolutions profondes ces dix dernières années. Les Organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA) sont très certainement, du moins en termes de mise en œuvre des actions, le pivot du modèle. Si l’on reconnaît généralement leur mission de collecte et de financement, on sait moins que les OPCA jouent également un rôle de conseil auprès des entreprises et qu’ils représentent le lieu privilégié d’impulsion de politiques de branche en matière de formation.
Pour répondre aux défis à venir, les OPCA devront diversifier leurs modes d’action pour faire de la formation un véritable instrument au service de la performance des entreprises, s’emparer de la question de l’employabilité des salariés au-delà du plan de formation mais également mieux se positionner sur le conseil des demandeurs d’emploi et des travailleurs indépendants.
À cette fin, les OPCA disposent d’atouts indéniables dont la connaissance des enjeux sectoriels via son mode de fonctionnement paritaire et l’expertise d’accompagnement des entreprises via son réseau de conseillers. Les OPCA pourront également tirer profit des expérimentations en cours pour former au plus près des besoins des entreprises.
À ce titre l’expérimentation FEST (acronyme pour formation en situation de travail) méritera d’être approfondie. Il s’agira également, pour identifier les moyens de soutenir la professionnalisation des demandeurs d’emploi, de mieux utiliser Contrats de sécurisation professionnelle. Enfin, pour impulser des politiques d’emploi adaptées aux besoins économiques, les Préparations opérationnelles à l’emploi (POE) pourraient constituer un dispositif pertinent comme cela a été le cas ces dernières années.
Quel que soit l’avenir des OPCA (fusion, dilution dans un service public de l’emploi voire disparition), le modèle actuel de la formation continue en France devra évoluer pour mieux arrimer la politique de formation à la politique de l’emploi, exploiter plus efficacement les potentialités des dispositifs existants (CPF, CSP, POE notamment) et inventer de nouveaux outils pour répondre à la problématique de l’auto-emploi.
Il nous semblerait peu judicieux de faire table rase du modèle actuel car les défis à venir méritent que l’on s’appuie sur l’expérience et les compétences acquises ces cinq dernières années.
David Abonneau, Maître de conférences en Gestion, Université Paris Dauphine – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.